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Paul Verlaine
Mon rêve familier Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime, Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend. Car elle me comprend, et mon coeur transparent Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême, Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant. Est-elle brune, blonde ou rousse ? - je l'ignore. Son nom? je me souviens qu'il est doux et sonore Comme ceux des aimés que Son regard est pareil au regard des statues, Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L'inflexion des voix chères qui se sont tues. "Poèmes saturniens" 1866
Les Ingénus
Les hauts talons luttaient avec les longues jupes, En sorte que, selon le terrain et le vent, Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent Interceptés ! - et nous aimions ce jeu de dupes. Parfois aussi le dard d'un insecte jaloux Inquiétait le col des belles sous les branches, Et c'étaient des éclairs soudains de nuques blanches, Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous. Le soir tombait, un soir équivoque d'automne Les belles, se pendant rêveuses à nos bras, Dirent alors des mots si spécieux, tout bas, Que notre âme, depuis ce temps, tremble et s'étonne.
LES INDOLENTS - Bah ! malgré les destins jaloux, Mourons ensemble, voulez-vous ? - La proposition est rare. - Le rare est le bon. Donc mourons Comme dans les Décamérons. - Hi! hi ! hi ! quel amant bizarre! - Bizarre, je ne sais. Amant Irréprochable, assurément. Si vous voulez, mourons ensemble ? - Monsieur, vous raillez mieux encor Que vous n'aimez, et parlez d'or, Mais taisons-nous, si bon vous semble! - Si bien que ce soir-là Tirsis Et Dorimène, à deux assis Non loin de deux silvains hilares, Eurent l'inexpiable tort D'ajourner une exquise mort. Hi ! hi! hi! les amants bizarres.
En sourdine Calmes dans le demi-jour Que les branches hautes font, Pénétrons bien notre amour De ce silence profond. Fondons nos âmes, nos coeurs Et nos sens extasiés, Parmi les vagues langueurs Des pins et des arbousiers, Ferme tes yeux à demi, Croise tes bras sur ton sein, Et de ton coeur endormi Chasse à jamais tout dessein. Laissons-nous persuader Au souffle berceur et doux Qui vient à tes pieds rider Les ondes de gazon roux. Et quand, solennel, le soir Des chênes noirs tombera, Voix de notre désespoir, Le rossignol chantera.
A Clymène Mystiques barcarolles, Romances sans paroles, Chère, puisque tes yeux, Couleur des cieux, Puisque ta voix, étrange Vision qui dérange Et trouble l'horizon De ma raison, Puisque l'arome insigne De ta pâleur de cygne. Et puisque la candeur De ton odeur, Ah ! Puisque tout ton être, Musique qui pénètre, Nimbes d'anges défunts, Tons et parfums, A, sur d'almes cadences, En ses correspondances Induit mon coeur subtil. Ainsi soit-il !
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