Dieu mon plaisir que je te touche
M'en soit le sentir plus qu'humain Que ne suis-je sur ton chemin Le blé que ton pied courbe et couche Ô prendre ta main dans ma main Déjà les mots rient dans ta bouche Dieu mon plaisir que je te touche
L'amour caché Mon âme a son secret, ma vie a son mystère
Un amour éternel en un moment conçu :
Le mal est sans espoir, aussi j'ai du le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.
Hélas! j'aurai passé près d'elle inaperçu,
Toujours à ses cotés et pourtant solitaire ;
Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.
Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre,
Elle suit son chemin, distraite et sans entendre
Ce murmure d'amour élevé sur ses pas.
À l'austère devoir pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle :
" Quelle est donc cette femme ? " Et ne comprendra pas !
Félix Arvers
(1806-1850)

François de MALHERBE (1555-1628)
Beauté, mon beau souci, de qui l'âme incertaine A, comme l'océan, son flux et
son reflux, Pensez de vous résoudre à soulager ma peine, Ou je me vais
résoudre à ne la souffrir plus.
Vos yeux ont des appas que j'aime et que
je prise. Et qui peuvent beaucoup dessus ma liberté : Mais pour me
retenir, s'ils font cas de ma prise, Il leur faut de l'amour autant que de
beauté.
Quand je pense être au point que cela s'accomplisse Quelque
excuse toujours en empêche l'effet; C'est la toile sans fin de la femme
d'Ulysse, Dont l'ouvrage du soir au matin se défait.
Madame, avisez-y,
vous perdez votre gloire De me l'avoir promis et vous rire de moi. S'il ne
vous en souvient, vous manquez de mémoire Et s'îl vous en souvient, vous
n'avez point de foi.
J'avais toujours fait compte, aimant chose si
haute, De ne m'en séparer qu'avecque le trépas S'il arrive autrement ce
sera votre faute, De faire des serments et ne les tenir pas.
(Dessein de quitter une dame qui ne le contentait que de promesse)
François
Coppée (1842-1908)
Septembre
au ciel léger...
Septembre
au ciel léger taché de cerfs-volants
Est
favorable à la flânerie à pas lents,
Par
la rue, en sortant de chez la femme aimée,
Après
un tendre adieu dont l'âme est parfumée.
Pour
moi, je crois toujours l'aimer mieux et bien plus
Dans
ce mois-ci, car c'est l'époque où je lui plus.
L'après-midi,
je vais souvent la voir en fraude ;
Et,
quand j'ai dû quitter la chambre étroite et chaude
Après
avoir promis de bientôt revenir,
Je
m'en vais devant moi, distrait. Le Souvenir
Me
fait monter au coeur ses effluves heureuses ;
Et
de mes vêtements et de mes mains fiévreuses
Se
dégage un arôme exquis et capiteux,
Dont
je suis à la fois trop fier et trop honteux
Pour
en bien définir la volupté profonde,
-
Quelque chose comme une odeur qui serait blonde.
Marceline
Desbordes-Valmore (1786-1859)
«Vous aviez mon coeur, Moi, j'avais le vôtre : Un coeur pour un coeur ; Bonheur pour bonheur !
Le vôtre est rendu ; Je n'en ai plus d'autre, Le vôtre est rendu Le mien est perdu.
La feuille et la fleur Et le fruit lui-même, La feuille et la fleur, L'encens, la couleur :
Qu'en avez-vous fait, Mon maître suprême ? Qu'en avez-vous fait, De ce doux bienfait ?
Comme un pauvre enfant, Quitté par sa mère, Comme un pauvre enfant, Que rien ne défend :
Vous me laissez là, Dans ma vie amère ; Vous me laissez là, Et Dieu voit cela !
Savez-vous qu'un jour, L'homme est seul au monde ? Savez-vous qu'un jour, Il revoit l'amour ?
Vous appellerez, Sans qu'on vous réponde, Vous appellerez ; Et vous songerez !...
Vous viendrez rêvant. Sonner à ma porte ; Ami comme avant, Vous viendrez rêvant.
Et l'on vous dira : "Personne... elle est morte." On vous le dira : Mais, qui vous plaindra !»
Qu'en avez-vous fait ?

LÉGENDE
Va
dire à ma chère Ile, là-bas, tout là-bas,
Près
de cet obscur marais de Foulc, dans la lande,
Que
je viendrai vers elle ce soir, qu'elle attende,
Qu'au
lever de la lune elle entendra mon pas.
Tu
la trouveras baignant ses pieds sous les rouches,
Les
cheveux dénoués, les yeux clos à demi,
Et
naïve, tenant une main sur la bouche,
Pour
ne pas réveiller les oiseaux endormis.
Car
les marais sont tout embués de légende,
Comme
le ciel que l'on découvre dans ses yeux,
Quand
ils boivent la bonne lune sur la lande
Ou
les vents tristes qui dévalent des Hauts-Lieux.
Dis-lui
que j'ai passé des aubes merveilleuses
A
guetter les oiseaux qui revenaient du nord,
Si
près d'elle, étendue à mes pieds et frileuse
Comme
une petite sauvagine qui dort.
Dis-lui
que nous voici vers la fin de septembre,
Que
les hivers sont durs dans ces pays perdus,
Que
devant la croisée ouverte de ma chambre,
De
grands fouillis de fleurs sont toujours répandus.
Annonce-moi
comme un prophète, comme un prince,
Comme
le fils d'un roi d'au-delà de la mer;
Dis-lui
que les parfums inondent mes provinces
Et
que les Hauts-Pays ne souffrent pas l'hiver.
Dis-lui
que les balcons ici seront fleuris,
Qu'elle
se baignera dans les étangs sans fièvre,
Mais
que je voudrais voir dans ses yeux assombris
Le
sauvage secret qui se meurt sur ses lèvres,
L'énigme
d'un regard de pure transparence
Et
qui brille parfois du fascinant éclair
Des
grands initiés aux jeux de connaissance
Et
des couleurs du large, sous les cieux déserts...
Patrice
de La Tour du Pin
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