Pierre Louÿs (1870 - 1925)
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Pervigilium mortis

Ouvre sur moi tes yeux si tristes et si tendres,
Miroirs de mon étoile, asiles éclairés,
Tes yeux plus solennels de se voir adorés,
Temples où le silence est le secret d'entendre.

Parle. Ta voix s'incline avec ta bouche. Un dieu
Lui murmure les mots de la mélancolie
Hâtive d'être aimée autant qu'elle est jolie
Et qui dans les ferveurs sent frémir les adieux.

Ta voix, c'est le soupir d'une enfance perdue.
C'est ta fragilité qui vibre de mourir.
C'est ta chair qui, toujours plus fière de fleurir,
Toujours se croit dans l'ombre à demi descendue.

Enlaçons-nous. Le vent vertigineux des jours
Arrache la corolle avant la feuille morte.
Le vent qui tourne autour de la vie et l'emporte
Sans vaincre nos désirs peut rompre nos amours.

Et s'il veut nous ravir à la vertu d'éclore,
Que nous restera-t-il de ce jour surhumain?
La fièvre du front lourd, trop lourd pour une main,
Et le songe, qui meurt brusquement à l'aurore.


 

 

 

Le Baiser

Je baiserai d'un bout à l'autre les longues ailes
noires de ta nuque, ô doux oiseau, colombe prise, dont 
le coeur bondit sous ma main.
Je prendrai ta bouche dans ma bouche comme un 
enfant prend le sein de sa mère. Frissonne !...
car le baiser pénètre pofondément et suffirait à l'amour.
Je promènerai ma langue légère sur tes bras,
autour de ton cou, et je ferai tourner sur tes côtes
chatouilleuses la caresse étirante des ongles.
Ecoute bruire en ton oreille toute la rumeur de la 
mer... Mnasidika !  ton regard me fait mal. J'enfermerai
dans mon baiser tes paupières brûlantes comme des 
lèvres.
      

    

LES SEINS DE MNASIDIKA

                                                                          
Avec soin, elle ouvrit d'une main sa tunique
et me tendit ses seins tièdes et doux,
ainsi qu'on offre à la déesse
une paire de tourterelles vivantes.

'Aime-les bien', me dit-elle; 'je les aime tant!
Ce sont des chéris, des petits enfants.
Je m'occupe d'eux quand je suis seule.
Je joue avec eux; je leur fais plaisir.

Je les lave avec du lait. Je les poudre
avec des fleurs. Mes cheveux fins qui les
essuient sont chers à leurs petits bouts.
Je les caresse en frissonnant.
Je les couche dans de la laine.

Puisque je n'aurai jamais d'enfants,
sois leur nourrisson, mon amour; et,
puisqu'ils sont si loin de ma bouche,
donne-leur des baisers de ma part.'

 

 

 

L'Iris


Je t'apporte un iris cueilli dans une eau sombre
Pour toi, nymphe des bois, par moi, nymphe de l'eau,
C'est l'iris des marais immobiles, roseau
Rigide, où triste, oscille une fleur lourde d'ombre.

J'ai brisé, qui semblait un bleu regard de l'air,
L'iris du silence et des fabuleux rivages;
J'ai pris la tige verte entre mes doigts sauvages
Et j'ai mordu la fleur comme une faible chair.

Les gestes et les fleurs, ô sereine ingénue,
Parleront pour ma bouche impatiente et nue,
Où brûlent mes désirs et l'espoir de tes mains:

Accueille ici mon âme étrangement fleurie
Et montre à mes pieds par quels obscurs chemins
Je mêlerai ta honte à ma vaste incurie.

                                                    

 

 

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